LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Conférence

Conférence du mercredi 13 janvier 2010 - 19 heures

Le cours Éthique et culture religieuse

Quand l’instruction cède le pas à l’endoctrinement

Par Joëlle Quérin, UQÀM

Joelle Querin

Lors d’une allocution prononcée chez les Sceptiques du Québec le 13 janvier 2010, Joëlle Quérin, doctorante en sociologie à l’UQÀM, propose d’examiner les objectifs du nouveau programme Éthique et culture religieuse, enseigné dans toutes les écoles du Québec depuis septembre 2008. Son analyse des compétences visées par le cours la conduira à soutenir qu’il cherche davantage à endoctriner les élèves au pluralisme qu’à leur transmettre des connaissances sur l’éthique et les religions.

Joëlle Quérin poursuit un doctorat en sociologie à l’Université du Québec à Montréal et est l’auteure de plusieurs articles sur la question du multiculturalisme et des accommodements raisonnables au Québec. À titre de chercheure associée à l’Institut de recherche sur le Québec (IRQ), elle a produit une étude sur le cours Éthique et culture religieuse (ÉCR).

Plusieurs questions ont été posées sur la validité des résultats de l’étude que Joëlle Quérin va nous exposer, admet d’emblée cette dernière. On a douté de sa crédibilité : l’auteure est toujours étudiante au doctorat en sociologie et sa recherche a été commanditée par l’Institut de recherche sur le Québec (IRQ), un « think tank » nationaliste. La conférencière précise que la plus grande partie de son étude se fonde sur une interprétation rigoureuse du contenu du cours et des documents ministériels qui en ont défini les enseignements. Dans une autre partie, elle justifie sa position d’abandon de ce cours.

Son allocution portera sur ces deux démarches. Elle tentera d’abord de démontrer que le cours ÉCR vise plus un endoctrinement au multiculturalisme qu’à la transmission de connaissances sur le fait religieux. Puis, elle s’interrogera sur la pertinence de donner à l’école cette mission. Et, c’est alors qu’elle défendra ses opinions personnelles.

Portée de la recherche

La conférencière a puisé des informations sur le développement du cours ÉCR à différentes sources : une abondance de documents ministériels sur ce sujet, des rapports de différents universitaires à partir desquels s’est élaborée la conception du cours et une revue de presse qui lui a permis de reconstituer la chronologie des événements. Son analyse s’appuie sur une démarche documentaire et non pas sur des enquêtes dans les écoles du Québec où le cours est donné depuis plus d’un an.

Elle tente de déterminer les véritables raisons qui ont donné au cours ÉCR sa forme et sa diffusion présentes. Rappelons que ce cours est obligatoire pour tous les élèves de toutes les années du primaire et du secondaire (sauf pour la troisième secondaire). Quels sont aussi les objectifs poursuivis par ceux qui ont conçu le cours ?

L’étude publiée par la conférencière ne se réfère pas au contenu des manuels scolaires. Elle y puisera toutefois plusieurs exemples pour illustrer les thèses de son allocution. Les auteurs de ces manuels ont évidemment tenté d’y refléter les intentions du Ministère, tel qu’ils les ont perçues.

Événements marquants

Une revue des étapes qui ont mené à l’implantation du cours ÉCR nous aidera à mieux comprendre les diverses pressions qui ont influencé ses concepteurs. Le rapport Proulx sur la laïcité à l’école semble être à l’origine de la démarche qui a incité le Ministère à modifier le programme. Il fait état d’une discrimination flagrante du système d’éducation qui privilégiait alors le catholicisme et le protestantisme. On alors avait le choix, dans les écoles primaires et secondaires, entre l’enseignement religieux catholique ou protestant et un enseignement de principes moraux ne faisant aucune mention de religion.

Le Ministère n’a pas choisi de carrément abolir tout enseignement religieux puisqu’il estime cela nuirait à l’ouverture des élèves à la diversité culturelle. L’avis de la majorité à ce sujet ne compte pas, car il s’agit de protéger les droits des minorités enchâssés dans les chartes. En l’an 2000, la loi 118 abolit les écoles confessionnelles, tout en préservant le régime des options précédentes jusqu’à ce que le nouveau cours de culture religieuse soit établi. Il aura pour objectif de « favoriser le vivre ensemble dans une société désormais pluraliste », rappelle la conférencière. Justification toujours évoquée aujourd’hui.

En 2004, la Commission des affaires religieuses du Ministère de l’Éducation émet l’avis que le nouveau cours d’ÉCR soit enseigné à tous les niveaux du primaire et du secondaire. Les universités s’attellent à la tâche de former des enseignants à donner ce cours. En 2005, l’Assemblée nationale reconduit, une dernière fois, la clause dérogatoire qui permet l’enseignement des religions catholique et protestante à l’école.

On modifie aussi l’article 41 de la charte des droits et libertés, alors qu’on invoquait la nécessité du nouveau cours pour cesser de contrevenir à cette charte… Cette modification est tout de même positive. Elle remet aux parents la responsabilité de fournir aux enfants une éducation religieuse conforme à leurs convictions. Auparavant, cette responsabilité incombait aux institutions d’enseignement. Au moment de l’adoption de la loi 95, un autre document ministériel annonce le cours à venir comme devant faciliter « le vivre-ensemble dans un Québec démocratique et ouvert sur le monde ».

À l’automne 2006, une première version du programme est testée dans quelques écoles du primaire et du secondaire. Aucune documentation n’a été rendue publique. L’évaluation de ce projet-pilote demeura secrète jusqu’à ce que des journalistes réclament le droit d’en être informés par la loi d’accès à l’information. Somme toute, ce rapport révèle les lacunes du cours préliminaire sous plusieurs aspects, tant au point de vue des parents et des enseignants que des élèves.

Une version révisée du programme ÉCR est adoptée en mai 2007. Le Comité aux affaires religieuses publie un communiqué anticipant que ce programme favorisera la reconnaissance d’accommodements raisonnables… au moment même où le débat public faisait rage au Québec sur ce sujet juste avant les audiences de la Commission Bouchard-Taylor. Extraits : « [le cours ÉCR]… facilitera la gestion de la diversité religieuse, y compris la pratique des accommodements raisonnables et des ajustements volontaires. » Il présumait des conclusions à venir de la Commission.

La version officielle du programme, encore en vigueur aujourd’hui, a été adoptée en juillet 2007. Peu après, le rapport Fleury, issu d’une commission créée un an plus tôt pour examiner les questions religieuses en milieu scolaire, recommande une sensibilisation accrue des élèves, parents et professeurs à la diversité religieuse. Il estime que le nouveau cours y contribuera grandement. Le rapport de la Commission Bouchard-Taylor, déposé en mai 2008, propose une « promotion énergique » de ce cours qui va permettre « de développer les aptitudes nécessaires au vivre-ensemble dans le contexte d’une société diversifiée. » Septembre 2008, implantation du cours ÉCR dans toutes les écoles du Québec.

Bilan révélateur

Quelles conclusions peut-on tirer des avis du Ministère et des différentes commissions que le gouvernement a créées durant les dix dernières années ? La conférencière en distingue trois principales :

Premièrement, la formation et le développement du cours ÉCR ont été constamment promus par les différents comités et commissions créés par le gouvernement. Les élus ont tout simplement suivi ces fortes recommandations. Ils ne les ont pas eux-mêmes conçues.

Deuxièmement, ceux qui ont soutenu et développé le cours ÉCR étaient favorables à une politique d’accommodements raisonnables. Ils voient dans ce cours une solution aux problèmes et tiraillements causés au Québec par les accommodements religieux.

Troisièmement, les justifications du Ministère pour instaurer ce cours proviennent d’arguments politiques et non d’arguments pédagogiques. L’agenda politique du gouvernement – soutenu par les individus et les groupes ayant milité pour l’implantation du cours et travaillé à sa mise en œuvre – structure le cours ÉCR.

Finalités du programme

En vigueur depuis l’an 2000, la réforme scolaire favorise la maîtrise des compétences plutôt que la transmission de connaissances. Il n’est pas surprenant que le dernier programme implanté par le Ministère suive l’approche qu’il prône. L’essentiel du programme ÉCR est structuré autour de trois compétences et de deux finalités : reconnaissance de l’autre et poursuite du bien commun.

Une première finalité vise la « reconnaissance de l’autre ». Cette approche a été popularisée au Canada par le philosophe Charles Taylor qui en a fait l’une des bases de sa vision pluraliste de la société. Dans son livre « Multiculturalisme, différence et démocratie », il examine les théories de la reconnaissance, dont celle de différents groupes culturels par les institutions publiques, pour finalement en arriver au multiculturalisme à la canadienne.

La deuxième finalité concerne la « poursuite du bien commun ». Notion plutôt vague qui équivaut, pour le ministère, au respect de la charte des droits humains, spécifiquement les particularismes identitaires de chacun. Cette deuxième finalité, comme la première, s’inscrit plus dans un projet politique que sous une perspective pédagogique.

Compétence en éthique

Fidèle aux principes de la réforme scolaire, le cours ÉCR s’articule autour de trois principales compétences : réflexions sur l’éthique et sur la culture religieuse et la pratique du dialogue.

On pourrait croire que l’apprentissage d’une compétence en éthique propose à de jeunes élèves une revue simplifiée de divers principes éthiques illustrée par des exemples concrets. Toutefois, le programme ministériel ne semble considérer qu’une seule doctrine éthique, celle qui a trait au pluralisme. Il ne vise sûrement pas à offrir un « parcours encyclopédique » du sujet.

Les manuels scolaires insistent aussi sur choisir de « manière consensuelle » la solution aux problèmes éthiques qui favorisera le mieux le « vivre-ensemble ». L’opinion de chacun sera respectée, mais une seule sera retenue : celle qui contribuera le plus à la vie commune, telle qu’entendue par les concepteurs du cours. Notons que, dans ces manuels, les sections « éthique » et « religion » sont traitées indépendamment l’une de l’autre. Contrairement à ce qu’on pourrait supposer, ces manuels n’abordent pas l’éthique en religion, ni la religion en éthique.

Des principes éthiques de base y sont discutés. Par exemple de faire la file au taille-crayon, qui relève sans doute plus d’un règlement de gestion de classe. Toutefois, l’emphase est placée sur deux volets de la philosophie pluraliste : la liberté identitaire des individus et les façons d’en tenir compte dans un projet commun de société. On encourage ainsi chacun à développer ses particularités culturelles, tout en visant une solution globale aux inévitables divergences.

Cette insistance au respect des besoins culturels et personnels de chaque individu pourrait mener à certaines situations conflictuelles. Par exemple, selon certains manuels, les règlements à la maison devraient s’établir en conseil de famille. On fait aussi la promotion de l’autonomie des élèves, même dans les premières années du primaire. L’enfant apprend à faire valoir ses points de vue sur son accès au bonheur – source potentielle de conflits familiaux…

Ces manuels valorisent la liberté identitaire au point de flirter avec les théories libertariennes, ajoute la conférencière. Autres exemples. S’habiller en noir et se maquiller le visage en blanc et les lèvres en noir, à la mode gothique ou satanique, expriment un trait de personnalité et une valeur identitaire admissible… même à l’école ? S’interroger sur son identité sexuelle est parfois accepté comme une interrogation valable ; les médias ont publicisé cet extrait d’un manuel du niveau secondaire : vous êtes « une fille », « un garçon » ou « ne sait pas encore » ?

Bien qu’on encourage l’élève à afficher fièrement son identité culturelle ou religieuse, on termine toujours par une discussion générale sur la façon de respecter les droits de chacun tout en préservant une cohabitation harmonieuse.

Compétence en culture religieuse

Une deuxième compétence vise une meilleure compréhension du phénomène religieux. Comme pour la compétence en éthique, le cours ÉCR ne tente pas de présenter une exploration des doctrines fondamentales du sujet. Il leur apprend surtout une façon de composer avec les différentes manifestations religieuses en exposant, encore une fois, la philosophie du pluralisme. L’objectif de la compétence est de « développer le respect mutuel et l’accueil de la différence ».

Ainsi, la culture religieuse n’est pas abordée en retraçant l’histoire des religions ou en décrivant l’origine et le contenu des différentes traditions religieuses. Le cours essaie plutôt de préparer les élèves à réagir « correctement » face aux manifestations religieuses différentes de la leur. Cette exploration sommaire du religieux n’a d’autre but que de suggérer des comportements jugés adéquats vis-à-vis les diverses pratiques religieuses.

Un guide destiné au professeur de secondaire précise des indications révélatrices : « Vous présentez la vision du monde de cette personne : chrétienne, juive, amérindienne, musulmane, hindouiste, sikh et bouddhiste. » Suivi de : « Ne pas en faire une lecture séquentielle ou un apprentissage linéaire. Ces visions du monde servent à conscientiser le jeune à la nécessité du vivre-ensemble et de ses exigences. » L’objectif n’est pas de transmettre des connaissances sur les différentes traditions religieuses, mais bien de comprendre les contraintes liées à la diversité religieuse dans l’espace public.

Ce point de vue pluraliste laisse aussi croire que toute personne se définit par sa religion, qu’elle soit pratiquante ou pas, qu’elle en ait une ou pas. Par exemple, les élèves musulmanes décrites dans les manuels scolaires portent toutes le voile (hijab), alors qu’en réalité c’est le fait d’une minorité de musulmanes. On propage ainsi l’idée fondamentaliste qu’une bonne musulmane doit porter le voile. De plus, en laissant entendre que cette pratique est essentielle, on prépare les élèves d’autres confessions à accepter ce symbole religieux en toute circonstance. Un manuel de secondaire II présente même comme normal qu’une jeune fille de 13 ans soit couverte d’un niqab dans une classe d’informatique !

La carence d’informations factuelles sur les doctrines religieuses et l’histoire des religions réduit le programme ÉCR à un cours d’accommodement 101, soutient la conférencière. À tel point que les religions sont ramenées à leurs seules prescriptions vestimentaires et alimentaires. Les croyants doivent porter voile, kippa, kirpan ou manger hallal et cachère parce qu’il s’agit de prescriptions divines incontournables. Maintes fois répétées au cours des années du primaire et du secondaire, ces contraintes religieuses feront, dans les dernières années du secondaire, l’objet de mises en situation par lesquelles les élèves devront suggérer des politiques pour les accommoder.

Le philosophe Georges Leroux, l’un des concepteurs du cours ÉCR et défenseur de son orientation, affirme que ce cours implique le respect absolu de toute posture religieuse, rapporte la conférencière. Ce principe se reflète dans les manuels scolaires. Les sectes y sont banalisées sous le vocable de « nouveaux mouvements religieux ». Même les sorcières mériteraient le respect !

Un tel relativisme religieux confère une fausse légitimité aux thèses créationnistes en leur accordant une valeur égale aux autres visions du monde. Dans ces manuels, on ne présente pas les théories scientifiques sur l’origine de l’univers et de la vie comme ayant une validité dépassant celle des croyances religieuses. Big bang et darwinisme y sont considérés comme des doctrines de même type que les mythes religieux de création. « L’origine de la vie s’explique-t-elle par l’évolution de la matière, une force surnaturelle ou par l’action d’extraterrestres ? Et toi, qu’en penses-tu ? », cite de mémoire Joëlle Quérin comme exemple d’une troublante formulation.

Compétence au dialogue

Une troisième compétence renvoie à la pratique du dialogue, non pas pour apprendre à mieux argumenter, mais plutôt pour en arriver à des « attitudes et comportements favorables au vivre-ensemble ». N’oublions pas que cette compétence est vue comme centrale dans le programme ÉCR. On y fait appel à tous les niveaux pour tirer des conclusions sur les problématiques d’accommodements notamment, mais aussi sur d’autres questions du volet éthique. L’évaluation des progrès de l’élève s’appuiera grandement sur sa maîtrise de cette compétence, telle que définie par le Ministère de l’Éducation.

Cette compétence n’est donc pas pratiquée en isolation, mais elle fait partie intégrante des deux premières : l’éthique et la culture religieuse. Des consignes de base sont suggérées : écouter l’autre, ne pas l’interrompe, etc. Les rappels fréquents précisent l’objectif du Ministère : le dialogue n’a pas pour but de confronter les idées, il vise à trouver un compromis favorisant le vivre-ensemble. Idéalement, les échanges ne feront ni gagnant, ni perdant.

Voici un des rares exemples spécifiques à la pratique du dialogue. En première secondaire, un manuel présente à l’élève cette question : « Parmi les choix suivants, cocher les attitudes à adopter pour favoriser le dialogue : 1. Respecter l’autre dans sa différence, 2. Ne pas hésiter à rire de quelqu’un, 3. Dire du mal de vos camarades, 4. Maintenir des rapports égalitaires avec tout le monde, 5. Rejeter toute forme d’exclusion. » Parions que l’élève saura facilement deviner quelles cases cocher.

Contenu indéterminé

Le programme s’articule autour des trois compétences, mais il ne précise pas le contenu même en éthique et culture religieuse qui devrait être abordé par l’enseignant. Toutefois, un tableau final fournit des indications. Il propose un certain nombre de suggestions non obligatoires à titre d'exemple : liste de fêtes religieuses, liste de personnages importants... Ces listes finissent en général par et cetera, ajoute Quérin, laissant ainsi à l’enseignant le choix de n’en choisir aucune et de se servir de ses propres idées de contenu sur l’éthique et la culture religieuse.

L’important demeure toujours l’apprentissage de compétences et non pas la transmission d’un savoir. L’avis de Georges Leroux est de nouveau révélateur : « Dans l’univers très riche des programmes formulés selon les compétences, nous ne travaillons pas à partir de contenus prédéterminés. Les jeunes ne recevront pas dans ce programme des connaissances encyclopédiques sur telle ou telle religion ou doctrine morale. » On note que les savoirs sont dénigrés au profit des compétences. Le programme est tellement « riche » qu’il peut se passer de contenu, ironise la conférencière, ou du moins qu’on peut omettre de le préciser.

La tâche revient donc aux enseignants de choisir un contenu avec lequel ils se sentent à l’aise. Cela apparaît assez difficile pour les enseignants titulaires du primaire qui n’ont été que peu formés pour donner ce nouveau cours. Ils enseignent aussi les autres matières importantes du curriculum, tels le français et les mathématiques. Comment alors enseigner ce cours ? La conférencière cite Pierre Lebuis, auteur d’un article sur ce sujet : « Le travail de l’enseignant consiste à orchestrer le jeu des interactions sociales pour harmoniser la polyphonie des points de vue dans une production d’ensemble. » La transmission d’un savoir particulier ne fait pas partie de l’objectif.

Parti pris pluraliste

Peut-on considérer l’enseignant plus « neutre » puisqu’il n’a plus à enseigner, dans le nouveau programme, une doctrine religieuse de façon dogmatique ? Il est vrai que l’enseignant doit observer une neutralité religieuse envers les différentes doctrines ; ses convictions ne doivent pas transparaître dans ses propos. Toutefois, il doit faire la promotion du pluralisme, une idéologie particulière. Selon Pierre Lebuis : « Ainsi, plutôt que de parler d’adopter une attitude de neutralité totale, il est questions de se référer aux finalités du programme pour faire face à des opinions et des comportements qui vont à l’encontre de certaines valeurs, qu’on appelle du vivre-ensemble. »

L’école doit transmettre un cadre commun de valeurs et non pas une culture commune, car on pourrait la confondre avec une culture patrimoniale exclusive. Ces valeurs sont énoncées dans les chartres de droits et libertés qui constituent essentiellement un cadre juridique de résolution des conflits. Au-delà des particularismes culturels et religieux, ces chartres seules peuvent unir le Canada multiculturel.

Cette philosophie du multiculturalisme explique pourquoi certains cas provenant des manuels scolaires ont été jugés aberrants par plusieurs parents et journalistes. On y donne, par exemple, comme exercice de redessiner le drapeau fleurdelisé québécois. Dans l’esprit du cours, ce drapeau est exclusif des autres cultures, car il inclut une croix. Le manuel suggère donc aux élèves de le rendre plus conforme aux impératifs du multiculturalisme. Cette démarche s’inscrit aussi dans une lutte contre les « replis identitaires » de ceux qui critiquent les accommodements religieux. Certains la considèrent comme une thérapie pour s’assurer que la jeunesse ne tombera pas plus tard dans des « dérives sectaires » semblables à celles qui ont conduit à la Commission Bouchard-Taylor.

Ce cours fera comprendre aux élèves, par exemple, que le port du kirpan par des sikhs est justifié, même à l’école, comme l’a statué la Cour suprême du Canada. Ils comprendraient la culture religieuse derrière cette prescription et les principes de vie en commun sur lesquels se sont basés les juges pour en permettre l’exercice. Gérard Bouchard, co-commissaire de la Commission Bouchard-Taylor, est d’avis la crise des accommodements religieux n’aurait pas eu lieu si les Québécois avaient tous suivi un tel cours. Voilà un appui sans réserve aux finalités du cours.

Choix politiques

De nombreux débats entre universitaires ont eu lieu sur les orientations idéologiques du cours ÉCR. La décision revient maintenant aux politiciens de poursuivre le programme tel quel, de le modifier ou de l’abolir. Passons en revue les positions présentes des divers partis politiques à ce sujet.

Le Parti libéral, qui a mis sur pied le cours, a annoncé par la voix de la ministre de l’Éducation qu’il favorise la poursuite du programme ÉCR. Ce parti semble enclin à certaines modifications au cours, tel un contenu plus défini pour les sections éthique et culture religieuse. Selon la conférencière, un ajout de connaissances au cours est souhaitable, mais il aura peu d’impact sur le programme éducatif si les compétences visées demeurent les mêmes. Elle a tenté de démontrer que ces compétences poursuivent un objectif politique, celui de l’instauration du multiculturalisme à la canadienne.

Le Parti de l’Action démocratique du Québec demande un moratoire suffisamment long pour pouvoir réexaminer toute cette question. Son influence demeurera probablement mineure vu sa députation restreinte.

Le Parti québécois a changé plusieurs fois d’avis sur la pertinence du cours ÉCR dans sa forme présente. La chef de ce parti a demandé qu’une commission parlementaire reçoive les avis des citoyens intéressés par cette question. La conférencière serait ravie de présenter ses analyses à cette commission parlementaire. Elle est toutefois pessimiste sur les possibilités d’une poursuite du débat au niveau parlementaire. Le Parti libéral étant majoritaire, une telle commission ne sera instituée que s’il y voit un avantage. Elle ajoute en terminant qu’il lui fera plaisir de réagir aux impressions, commentaires et questions de l’auditoire.

 

Période de questions

Contenu pédagogique

Question : Bien que les exemples donnés dans les manuels scolaires n’y figurent qu’à titre indicatif, l’enseignant ne doit-il pas s’appuyer sur un contenu religieux substantiel pour évaluer les compétences de l’élève ?

Réponse : Un contenu religieux réel est enseigné, admet Quérin, mais il est accessoire et varie selon les préférences de l’enseignant. Il sert avant tout au dialogue. Certains personnages et mythes religieux seront étudiés dans une classe particulière, mais pas nécessairement dans une autre puisqu’il n’y a pas de contenu normatif.

Question : Y a-t-il « une ligne du parti » implicite à laquelle les enseignants du cours ÉCR ne peuvent déroger sans s’exposer à de sévères remontrances ? Cette pensée unique ne s’étend-elle pas aussi aux facultés universitaires qui donnent la formation pertinente ?

Réponse : Le programme insiste sur la liberté de chacun de souscrire aux pratiques religieuses de son choix et de conduire sa vie comme il l’entend. Une telle ouverture glisse presque dans le relativisme moral, hasarde la conférencière. Toutefois, en ce qui a trait au vivre-ensemble il n’y a qu’une bonne réponse : le pluralisme accommodant.

Pourtant, la population québécoise n’est pas encore arrivée à un consensus à ce sujet. Le débat se poursuit toujours sur le type de modèle de diversité religieuse ou culturelle le plus approprié. Ce cours enseigne aux élèves que la charte des droits ne peut être respectée que par ce qui pourrait aussi s’appeler « l’interculturalisme », faisant fi de la controverse actuelle.

En ce qui concerne les facultés universitaires, assurément, il y a une doxa multiculturaliste dans le domaine des « sciences de l’éducation ». Cette situation est inquiétante, puisque les facultés de sciences de l’éducation ont acquis le monopole sur la formation des enseignants au Québec.

Impact réel

Question : Le nouveau cours ÉCR rendra-t-il les élèves plus ou moins religieux ?

Réponse : Les opinions, souligne Quérin, sont aux antipodes quant à l’effet du cours sur le sentiment religieux des élèves. Certains pensent que la politique du respect total des croyances relèvera le niveau de spiritualité des élèves. D’autres sont d’avis que le relativisme religieux inhérent au cours les mènera logiquement à une incroyance effective. La direction prise par l’élève sera sans doute grandement influencée par la démarche de l’enseignant qui choisit lui-même le contenu et la présentation du sujet. Il faut aussi s’attendre à ce que l’orientation du cours dépende de la composition ethnique du milieu dans lequel il sera donné.

Question : Le cours ÉCR pourrait apparaître comme un juste milieu entre les « extrémistes » religieux qui veulent retourner à l’enseignement confessionnel à l’école et les « extrémistes » laïques qui veulent exclure tout enseignement religieux de l’école. Qu’en pensez-vous ?

Réponse : C’est une idée qui a prévalu pendant un certain temps, reconnaît Quérin. Aujourd’hui, on examine les fondements mêmes du cours. Les critiques de toute tendance en viennent à la conclusion qu’il ne faudrait pas remplacer l’enseignement catholique (ou protestant) par une nouvelle religion multiculturelle. Le rôle de l’école n’est-il pas d’abord de transmettre des connaissances bien définies plutôt que des compétences au dialogue sur le bien vivre-ensemble ?

Question : Vous dites favoriser l’abolition du cours ÉCR. Par quoi le remplaceriez-vous ?

Réponse : La conférencière estime que les options de remplacement sont nombreuses. Toutefois, la voie choisie devra provenir d’une décision collective et non pas être imposée par un petit groupe partageant une idéologie particulière. Personnellement, elle opterait pour que l’histoire des religions soit intégrée dans un cours d’histoire générale. Le reste du temps libéré par l’abolition du cours pourrait être réparti aux matières de base, tels le français et les mathématiques.

Enseignement dispensé

Question : En tant qu’enseignant du cours ÉCR au niveau secondaire, je laisse l’élève exprimer son opinion, je n’impose pas un consensus en faveur du pluralisme. Après une revue des faits, je laisse l’élève arriver à sa propre évaluation d’une pratique religieuse. J’évalue ses compétences à la lumière de sa compréhension des faits.

Réponse : La conférencière est ravie de constater qu’il peut y avoir des divergences importantes entre l’orientation pluraliste que les concepteurs du cours ont voulu lui donner et la démarche de l’enseignant en classe. Il n’en reste pas moins que, selon le programme, le contenu n’est pas prédéterminé et qu’il doit être au service des compétences. Un programme est fait pour être appliqué.

Question : En tant qu’enseignant titulaire au niveau primaire, je me sers de mon jugement pour appliquer le peu que je connais du programme à ma façon. Pour moi, les élèves ne sont ni catholiques, ni musulmans, ni athées ; ce sont leurs parents qui le sont. Je n’impose pas une vision pluraliste, ni d’ailleurs mon incroyance que je ne cache pas. Les élèves discutent librement et arrivent à leurs propres conclusions.

Réponse : La conférencière constate, encore une fois, qu’un enseignant n’applique pas vraiment le programme du Ministère. Doit-on pour cela éviter de le critiquer ? Il est tout de même troublant qu’un enseignant le connaisse si peu…

Compte-rendu rédigé par Louis Dubé et révisé par la conférencière.