#44
Message
par bebepinotte2 » 03 oct. 2016, 16:03
Merci pour le jugement. C’est très intéressant en effet.
Mais (et je cite le juge) :
"[57] Le recours de la Commission prend appui sur les dispositions suivantes de la Charte :
4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnue par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs."
Faut quand même admettre que ce sont là des critères plutôt larges...
Si toute personne qui croit qu’on a bafoué « son droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation » peut maintenant présenter une demande à la Commission et penser avoir une chance de gagner en raison de cette jurisprudence, alors pourquoi les gens continueraient-ils de mener des poursuites en droit civil?
Pour moi, la Charte des droits et libertés est un outil qui a été créé afin de traiter des grands enjeux de discrimination sociale, par exemple par rapport aux droits des femmes, aux droits religieux et, oui, aux droits des personnes handicapées... mais pas d’une personne handicapée en particulier recevant des insultes précises! C’est là du domaine civil, non?
Par exemple, quand Sophie Chiasson a poursuivi Jeff Fillion il y a quelques années, ce n’était pas là une cause menée en vertu de la Charte des droits et libertés (et tout le monde aurait trouvé bizarre une telle éventualité), même si Mme Chiasson avait vu sa dignité, son honneur et sa réputation sérieusement entachés par M. Fillion, ce que le tribunal civil a claironné avec justesse. Et elle aurait pu facilement affirmer que les insultes dont elle avait été l’objet étaient en grande partie basées sur le sexe (car il s’agissait souvent de propos sexistes).
La Commission en acceptant la cause de Jérémie Gabriel s'engage sur une pente glissante susceptible de mener petit à petit à un élargissement excessif de son rôle.
À mes yeux et à ceux de bien des Québécois, la Charte des droits et libertés est un couteau à deux tranchants qui encadre par moment de trop près l’activité politique. Et, faut-il le rappeler elle s’ajoute à la Charte canadienne. Il est en général accepté que ces deux chartes empêcheraient par exemple le Québec d’appliquer des politiques moins empreintes de multiculturalisme que le reste du Canada notamment en matière linguistique et religieuse. Ce n’est quand même pas rien. Et maintenant, si je me fie aux arguments du juge, elle devient un recours envisageable pour une foule de gens qui sentiront leur dignité, leur honneur ou leur réputation lésés... Je ne dis pas évidemment que la Commission acceptera toutes ces demandes. Mais déjà qu’elle ait retenu celle de Jérémie Gabriel contre Mike Ward me laisse entrevoir un manque de personnel dans les années à venir...
Finalement, pour ce qui est d’une éthique qui pourrait s’appliquer en humour, évidemment, comme dans toutes les autres activités humaines, l’empathie est souvent le chemin à prendre. Mais encore là, je le répète, pour les débordements, les tribunaux civils sont le recours logique. Et la question reste, si l'humour est un art, veut-on vraiment vivre dans une société qui impose une éthique particulière à l'art?