Les mots et les émotions entrent en dynamique. Les mots que l'on choisit pour décrire une réalité sont en partie déterminés par nos émotions, mais ils conditionnent en retour notre réaction émotionnelle face à cette réalité. Par exemple, si de retour à la maison l'on remarque que la serrure a été fracturée et que le téléviseur a disparu, on peut parler de l'évènement en différents termes:
1- Mon téléviseur a été volé;
2- J'ai été volé;
3- J'ai été victime d'un larcin;
4- J'ai été victime d'une introduction par effraction;
5- J'ai été victime d'un cambriolage;
6- On a défoncé ma porte, violé mon intimité et dépossédé de mon bien;
Certains termes ont pour effet de minimiser, lénifier presque étouffer la gravité d'une situation. Ils peuvent décrire objectivement la situation, mais en lui faisant perdre la charge qui devrait y être normalement associée. Ainsi, des civile victimes d'attaques militaires deviennent des «dommages collatéraux».
Inversement, d'autres termes auront pour effet de dramatiser une réalité en l'associant à un complexe de représentations cognitives et émotionnelles plus lourdes qui conduisent à des réactions émotionnelles et comportementales disproportionnées. Il y a quelques années, la victime d'une introduction par effraction affirmait à la télévision qu'elle s'était «sentie violée». Je n'ai pas pu m'empêcher de me dire que la madame n'avait surement jamais été victime d'une agression sexuelle sérieuse dans sa vie parce qu'autrement elle aurait surement mieux mesuré toute la distance qui sépare un simple vol de téléviseur dans un appartement vide d'un viol caractérisé.
«CULTURE DU VIOL»
Tout ça pour en venir à cette curieuse expression (ou théorie) qui voudrait que l'occident patauge dans une «culture du viol». Les faits qui sont évoqués pour justifier cette expression me semblent souvent vrais, du moins à la base, mais mal pondérés et surtout très mal décrits par une terminologie tendancieuse.
Wikipédia définit la culture du viol comme «un concept établissant des liens entre le viol (ainsi que d'autres violences sexuelles) et la culture de la société où ces faits ont lieu, et dans laquelle prévalent des attitudes et des pratiques tendant à tolérer, excuser, voire approuver le viol.»
Les faits rapportés se classeraient en trois groupes*:
Négation et minimisation du viol
FAIT: Il serait «courant» de remettre en cause la parole de la victime.
Est-ce vrai?
On prend la mesure de la «culture» d'une société par ses lois et règlements, par la façon dont elles sont appliquées par les institutions qui représentent la loi. La question devient donc: la parole des victimes de viol est-elle systématiquement mise en doute dans nos institutions? La réponse est non. Comme pour n'importe qu'elle crime contre la personne, les victimes de viols sont presque toujours crues d'amblée. Leurs plaintes sont prises au sérieux, elles sont enregistrées. Des enquêtes sont ouvertes, les mises en accusation sont fréquentes. C'est tellement dans notre culture, que dans les postes de police des enquêteurs sont spécialement formés pour recevoir ces plaintes. C'est tellement dans notre culture que les dans les hôpitaux des infirmières et des travailleuses sociales sont "désignées" et spécifiquement formées pour soutenir les victimes et amasser la preuve nécessaire à une condamnation des agresseurs présumés. C'est ça la culture dans laquelle nous vivons.
Il arrive que des remises en question surviennent, surtout lorsque le contexte soulève la possibilité d'une fausse accusation. Pas sans raison, d'ailleurs, si l'on prend comme exemples les accusations récentes contre des professeurs de l'université du Québec à Montréal. Mais ces rares mises en doute ne sont pas vraiment courantes et elles ne sont surtout pas le témoin d'une culture du viol? Par exemple, il est tout aussi courant de remettre en question les déclarations de «vol par effraction» lorsque les déclarations sont faites dans un contexte qui soulève la possibilité d'une fausse déclaration. Vivons-nous pour autant dans une «culture du vol par effraction»?
FAIT: On entend parler du viol comme d'une chose normale.
Est-ce vrai? Oui! Qui n'a pas entendu cette vieille blague niaiseuse qui affirme que «les lois sont comme les femmes, elles sont faites pour être violées». Mais qui sont ceux qui font cette blague ou qui rient de cette blague? Ces personnes estiment-elles vraiment que le viol est une chose normale? S'indignent-elles moins devant un crime véritable?
FAIT: «La minimisation du viol est favorisée par le vocabulaire de certaines victimes. (…) des victimes se sont entendues dire que d'autres avant elles l'avaient subi en faisant moins d'histoires (pas de plainte), voire en continuant une vie normale»
Je ne sais pas vous, mais moi je n'ai jamais entendu ça de la bouche d'une victime et pourtant mon travail me conduit à en rencontrer plusieurs. Les victimes que je connais sont bien conscientes d'avoir été la cible d'un acte criminel et elles ne sont pas sujettes à en minimiser les conséquences.
FAIT: Il y aurait une représentation du viol typique: commis la nuit, dans la rue par un inconnu. Les viols qui ne présenteraient pas ces caractéristiques seraient plus sujets à être niés.
La plupart des délinquants sexuels que j'ai évalués dans des pénitenciers avaient agressé des personnes de leur entourage. La police et la justice ne semblent donc pas être trop influencées par cette équation.
Négation du non-consentement
FAIT: il serait «courant d'entendre dire qu'une femme qui dit « non » pense « oui », et que la séduction consiste à la faire céder»
Il est vrai que l'on entend de semblables choses et il est vrai que bien des personnes croient ces choses. Mais, est-ce le témoin d'une culture du viol?
FAIT: «Ce mythe s'immisce parfois jusque dans la victime qui garde longtemps le sentiment que son corps l'a trahi car les zones érogènes sont régies par des mécaniques : la victime peut donc prendre du plaisir, sa sexualité se déconnectant de l'ensemble de son être et créant une ambivalence écœurante.»
Les victimes d'agression sexuelles (enfants ou adultes) ont systématiquement tendance à se sentir coupables, du moins à un certain niveau. C'est un fait commun qui ne dépend pas des réactions physiologiques pendant le viol. Cela peut cependant dépendre du discours tenu par l'agresseur pendant l'agression: «tien salope, tu l'as bien cherché!». Que les agresseurs sexuels véhiculent souvent des croyances qui rationalisent leur conduite, c'est un fait. Mais ces rationalisations sont-elles les témoins de l'ensemble culturel dans lequel vivent les délinquants? C'est moins sûr! En effet, les assassins psychopathes, les escrocs et les pyromanes font la même chose sans que nous estimions vivre dans une culture de l'assassinat, une culture de l'escroquerie ou une culture de la pyromanie.
Blâme de la victime
FAIT: Lorsqu'un viol est rendu public, il est courant de faire porter sur la victime la responsabilité du viol». Il arriverait, par exemple, que soient soulignés des aspects des mœurs de la victime (ou sa tenue vestimentaire) qui pourrait être interprétée comme des incitations à avoir des rapports sexuels avec elle, constituait une légitimation du viol ou au moins constituerait une circonstance atténuante du crime.
Oui, on retrouve encore les traces de cette victimologie intuitive qui avait largement court au début du siècle. Je la trouve bien moins fréquente que dans ma lointaine jeunesse, mais elle perce encore ici et là. Elle est bien contestable, mais elle ne m'apparait pas refléter la culture ambiante. C'est une impression subjective que je ne saurais démontrer, mais mes interlocuteurs ne le pourraient pas davantage.
Il y a encore des chose toutes croches qui habitent nos mentalités notre société, mais il y en a bien d'autres de très honorables et lorsque l'on p=prend la mesure de nos lois, de nos règlements et des institutions qui les représentent, je trouve que de parler de «culture du viol» est une dramatisation très inappropriée pour écrire ce qui se passe vraiment dans les sociétés occidentales.

* Je ne retiens que les faits qui pourraient se présenter en occident. Je ne retiens pas non plus ceux qui apparaissent parfois dans nos sociétés, mais seulement dans des groupes circonscrits de personnes provenant de pays non occidentaux, faits qui seraient, dans ces circonstances, les témoins d'autres cultures que la nôtre.