LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Dictionnaire

Explosion du cambrien

Peu importent les critères proposés, les études sur la vie au précambrien ont connu une spectaculaire croissance depuis la moitié des années 1960 pour en arriver, ces dernières années, à la découverte des plus anciens fossiles connus, des microbes cellulaires pétrifiés de presque 3 500 millions d’années, plus que les trois-quarts de l’âge de la Terre. La paléobiologie précambrienne est en pleine effervescence. La vaste majorité de tous les scientifiques qui se sont jamais penchés sur les premiers fossiles existants sont encore parmi nous et pleinement actifs. Les découvertes s’enchaînent à un rythme sans cesse accéléré... Après plus d’un siècle d’essais et d’erreurs, de recherches et de découvertes finales, ceux d’entre nous qui étudient les premières formes de vie sur notre planète peuvent se dire reconnaissants de que ce qui était autrefois «inexplicable» pour Darwin ne le soit plus pour nous. 
J. William Schopf
 

Terme renvoyant aux fossiles des 30 premiers millions d’années du cambrien (soit – 570 à – 500 millions d’années). Cette période de 30 millions d’années a connu l’évolution de nombreuses formes «de mollusques, étoiles de mer, arthropodes, vers et cordés (y compris des vertébrés)»*. On y a aussi retrouvé des éponges, des bryozoaires, des hydrozoaires, des brachiopodes, ainsi que quelques espèces d’échinodermes pédonculés.* Fait étonnant, comme le dit Richard Dawkins, «Tout se passe comme s’ils se seraient tout bonnement retrouvés là, sans aucune histoire évolutionnaire antérieure» (Dawkins 1996, p. 229). Dawkins ne prétend pas savoir pourquoi il y a si peu de fossiles du précambrien, mais il soupçonne que «ce pourrait être parce que le corps de beaucoup de ces animaux n’était constitué que de parties molles: pas de coquille ni d’os pouvant se fossiliser» (Dawkins 1996, p. 230).

Les plus anciennes bactéries fossilisées datent d’environ 3,5 milliards d’années. Deux milliards d’années plus tard, des algues – des organismes constitués de cellules, de noyaux et de chromosomes – sont apparues. Des invertébrés marins munis de coquilles dures et de squelettes de chitine ou de chaux sont plus susceptibles de laisser des traces fossiles que des créatures aux parties molles. Aux conditions favorisant la fossilisation, on pourrait ajouter qu’au cours du cambrien, la majeure partie des continents se trouvaient sous les tropiques ou dans l’hémisphère Sud.

Avant la période cambrienne, la vie sur Terre avait émergé, mais sans connaître d’évolution importante, peut-être parce que le contenu en oxygène de l’atmosphère et des mers ne permettait pas la respiration. D’autre part, la Terre est demeurée à l’état d’une boule de glace jusque vers le cambrien; on croit que son dégel soudain a produit un «choc climatique» qui a déclenché l’évolution des animaux pluricellulaires. On propose également d’autres explications.*

Pour une raison quelconque, les créationnistes pensent que l’explosion de vie du cambrien est une preuve contre l’évolution et en faveur de l’hypothèse qu’un être surnaturel et invisible a créé chaque espèce individuellement. Comme le fait remarquer Jerry Coyne:

On ne retrouve les fossiles de nombreuses plantes et de nombreux animaux que bien après l’explosion du cambrien: les poissons osseux et les plantes terrestres sont apparus il y a environ 440 millions d’années, les reptiles, il y a environ 350 millions d’années, les mammifères, il y a 250 millions d’années, les plantes à fleurs, il y a environ 210 millions d’années, et les ancêtres des humains, il y a environ 5 millions d’années. Cette apparition successive de groupes qui deviennent très différents au cours des 500 millions d’années suivantes ne viennent aucunement soutenir l’idée d’une création instantanée d’espèces restant par la suite fondamentalement inchangées. Si les traces que nous possédons correspondent véritablement à l’activité d’un créateur, il faut conclure qu’il s’est montré insatisfait de presque toutes ses créatures, puisqu’il les a détruites les unes après les autres, pour inventer ensuite un nouvel ensemble d’espèces qui, par hasard, ressemblaient à ce qu’auraient été les descendants de ceux qui venaient de disparaître.

Certes, le registre fossile est imparfait. Comme le dit Richard Dawkins, «si l’on place côte à côte tous les fossiles dont nous disposons par ordre chronologique, ils ne forment pas une séquence continue de changements à peine perceptibles» (Dawkins 1996, p. 229). Eldredge et Gould ont proposé la théorie de l’équilibre ponctué, selon laquelle les solutions de continuité dans le registre fossile correspondent justement à une forme de rupture: ces lacunes s’expliqueraient par le fait que l’évolution, pour certaines lignées, se fait par des à-coups suivis de longues périodes sans changement marqué. Toutefois, même Eldredge et Gould ont reconnu que certaines lacunes peuvent s’expliquer par l’état imparfait du registre.

Les créationnistes adorent citer Gould et Dawkins hors contexte. Christie Syftestad, de Roseville, écrit que Stephen Jay Gould lui-même a reconnu que les fossiles découverts contredisent du tout au tout la sélection naturelle (lettre au rédacteur en chef du Sacramento Bee, 19 décembre 2005). Or c’est totalement faux. Dans le dernier ouvrage qu’il a publié, La structure de la théorie de l’évolution, Gould explique qu’une des raisons les plus importantes pour lesquelles il a entrepris la rédaction de son ouvrage, c’était qu’il voulait présenter

un compte rendu adéquat des thèmes coordinateurs qui font tout l’intérêt de la reformulation moderne de la structure de la théorie de l’évolution, en même temps qu’ils lui donnent une grande cohérence. Cette dernière a été rendue possible en grande partie par le fait que Darwin lui-même, avec cette manière brillante qui lui était propre, a relié les divers fils de son argumentation de départ en une conception globale dotée, de même d’une structure solide: il a donc clairement exprimé ses propres positions, ce qui a permis de donner une forme également cohérente à leur révision (2006, p. 35-36).

En outre, contrairement aux créationnistes et aux partisans du dessein intelligent, Gould était un scientifique. Pour lui, le manque de fossiles d’avant le cambrien ne signifiait pas qu’il fallait jeter la science par-dessus bord et invoquer une divinité ou quelque autre entité surnaturelle qui, en quatre coups de cuiller à pot, crée chaque espèce individuellement simplement parce que c’est ce que dit la Bible! Non, Gould explique fièrement que les paléontologues ont fouillé les couches sédimentaires appropriées partout sur Terre, à la recherche de preuves éventuelles d’une vie précambrienne.

Par exemple, le premier ensemble important d’animaux sur cette planète, nommé la faune d’Ediacara, d’après le nom de la localité australienne où elle a été découverte, mais qui a été représenté sur tous les continents, on le sait maintenant, date d’une période allant de – 600 millions d’années jusqu’au tout début de l’explosion cambrienne, quelques formes ayant peut-être survécu au-delà. Ces organismes de grande taille (l’un d’entre eux atteignait un mètre de long, mais la plupart des spécimens se mesuraient en centimètres ou en décimètres) tendaient à présenter des formes extrêmement aplaties, composées de nombreuses sections probablement cousues ensemble à la manière d’un édredon (et manifestement pas segmentées sur le mode métamérique) et paraissaient ne posséder aucun orifice corporel. Certains auteurs ont cherché l’origine de quelques phyla de bilatériens au sein de cette faune, mais leurs comparaisons semblent «tirées par les cheveux», et de nombreux paléontologistes regardent les animaux de la faune d’Ediacara comme une première expression des possibilités liées au mode d’organisation diploblastique prébilatérien (les cnidaires actuels et quelques autres groupes étant les survivants de la gamme plus vaste du temps d’Ediacara), tandis que d’autres spécialistes les ont considérés comme une tentative totalement distincte de vie cellulaire, qui n’aurait pas eu de lendemain, ou même comme un groupe de lichens marins ! (Gould 2006, p. 1619).

Les créationnistes et les partisans du dessein intelligent sont des propagandistes antiscientifiques. Ils sont convaincus que la recherche ne parviendra jamais à produire davantage de données pertinentes qui nous permettront de comprendre les processus évolutionnaires qui se sont déroulés sur notre planète au cours des derniers milliards d'années. Autrement dit, ils ne s'intéressent à la science que pour y découvrir les zones grises où les scientifiques trouvent des problèmes à étudier et décrètent que ces problèmes ne peuvent être résolus, sinon en invoquant un être surnaturel capable de faire entrer les données existantes à l’intérieur d’une lecture réductrice de la Bible.

Certains vont même jusqu'à prétendre que l'évolution est une idée fausse et non scientifique. C'est, par exemple, ce que pense Frank Sherwin de l'Institute for Creation Research, un regroupement de fanatiques religieux qui croient que leur mission en tant que chrétiens consiste à prouver la «faillite scientifique de l'évolution». Selon Sherwin (dans un article rédigé par sa tout aussi religieuse sœur, Elisabeth), l'explosion du cambrien est l'un des «quatre arguments irréfutables» contre l'évolution. Frank croit que les vrais scientifiques devraient accepter la véracité de la Bible et invoque un être invisible et surnaturel pour s'occuper de l'aspect scientifique de ses déblatérations. Sa sœur affirme préférer le dessein intelligent à l'évolution parce qu'elle se dit «irritée par l'arrogance des évolutionnistes qui prétendent avoir réponse à tout» (Sherwin 2005). Si le frère ou la sœur avait véritablement lu Dawkins ou Gould, il leur faudrait mentir comme des arracheurs de dents pour dire que ce sont les évolutionnistes qui prétendent avoir réponse à tout. Les vautours du créationnisme et du dessein intelligent ne se pointent le bout du bec que lorsque que les évolutionnistes n'ont pas de réponse, et ils le font en déclarant qu'il ne sert à rien de chercher davantage, qu'il faut baisser les bras et reconnaître que seul un miracle peut résoudre le problème. Ensuite, dans une absence totale de logique, ils affirment, comme le fait Frank Sherwin, que «la vision du monde d'une personne qui pense que l'humanité descend d'une bactérie sera sans doute très différente de celle d'une personne qui pense que nous avons été créés à l'image de Dieu » (Sherwin 2005). Apparemment, c'est la morale de l'histoire telle qu'on la conçoit du côté créationniste.

Mais il s'agit là d'un discours propagandiste, et non de science. (Que préférez-vous croire? Que vous n'êtes qu'un protoplasme éphémère ou un esprit immortel?) C'est le discours d'un homme qui ne s'intéresse aucunement aux splendeurs de l'univers qui l'entourent. C'est le discours d'un homme qui dit posséder un ami imaginaire grâce auquel il peut mettre en suspens sa faculté de raisonner et déclarer de façon dogmatique qu'il possède toutes les réponses, et qu'il n'y a pas lieu d'étudier davantage le monde et ses merveilles. Un tel homme peut bien chercher à se cramponner à toutes sortes de bouées de sauvetage, mais l'explosion du cambrien ne l'aidera pas à flotter.

 

A lire également: Chaînon manquant.

L'horloger aveugle, de Richard Dawkins    Structure de la théorie de l'évolution, S.J. Gould   La vie est belle, de Stephen Jay gould

Dernière mise à jour le 24 août 2019.

Source: Skeptic's Dictionary