LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

quackwatch

Chandelles auriculaires: pourquoi elles ne sont pas une bonne idée

Dr Lisa Roazen

Les chandelles auriculaires (ou « bougies d'oreilles ») sont utilisées pour ce qui est appelé le « cônage d'oreille », ou plus simplement « cônage ». Il consiste à placer un cône dans l'oreille afin d'extraire le cérumen (la cire du conduit auriculaire) et d'autres impuretés, avec l'aide de la fumée provenant de la mèche allumée. Les origines de cette procédure sont obscures. Au Tibet antique, en Chine, en Égypte, dans les Amériques précolombiennes, et même dans la ville mythique d'Atlantide, on cite des contributeurs possibles. L'intervention est censée créer un léger vide qui aspirerait la cire et les autres débris hors du conduit auditif. Certains tenants affirment même que les impuretés sont enlevées de l'oreille interne, des sinus, voire du cerveau lui-même... le tout étant d'une façon quelconque relié au conduit auditif. Les partisans prétendent que les bougies auriculaires peuvent:

Produits et procédures

Chandelle auriculaire

La plupart des chandelles utilisées pour ces traitements aux États-Unis sont fabriquées sur place ou au Canada et se vendent entre $2 et $10. En France, elles sont souvent vendues sous le nom de "bougies Hopi". Elles peuvent être en lin ou en coton (souvent non blanchi, car les praticiens prétendent que le chlore est mauvais pour les oreilles) trempé dans de la cire ou de la paraffine et laissé durcir. (Ironiquement, un fabricant n'utilise que de la cire d'abeille pure, prétendant que la paraffine est cancérigène.) Certaines chandelles sont colorées, ce qui est un élément de controverse dans le milieu, bien que la couleur de la cire d'abeille puisse varier. Les « fabrications maison » peuvent être des journaux imbibés de cire et des cônes de poterie dans lesquels de la fumée d'herbes est soufflée. Certaines cires contiennent des herbes ou d'autres substances, comme la sauge, la camomille, la rose, le romarin, la racine de bardane, la racine d'osha, la pervenche, le jojoba, l'écorce de quassia, la racine de yucca, ou le miel. La boutique Egret, à Dallas (Texas), propose des bougies, des disques de protection, un manuel de 73 pages, une cassette vidéo de 30 minutes, des chiffons ignifugés, de l'huile pour les oreilles et un otoscope. Son dépliant de vente en gros indique que ses bougies sont "uniquement pour le divertissement" et que ses coffrets "vous fournissent tout ce dont vous avez besoin pour une séance de divertissement sûre et efficace". [1]

La plupart des instructions demandent à la personne qui subit l'intervention de s'allonger sur le côté. Une plaque collectrice est placée au-dessus de l'oreille et la bougie est insérée à travers le trou de la plaque dans le conduit auditif. La bougie est allumée, et quand la mèche brûle, elle raccourcit et peut s'éteindre. Certains suggèrent alors d'utiliser un cure-dent pour maintenir un orifice en haut de la chandelle creuse durant la procédure. Une fois la bougie éteinte et enlevée, on enlève le cérumen visible, et on applique dans bien des cas de "l'huile auriculaire". Certains praticiens placent la chandelle encore chaude dans un bol contenant de l'eau, et affirment que tout ce qu'elle contient, et qui n'est manifestement pas de la cire d'abeille, serait le cérumen, des toxines, de la peau morte (squames), des résidus de médicaments, ou des restes d'anciennes mycoses (infections causées par des champignons), ce qui n'a jamais été vérifié. Presque toutes les indications sur l'étiquette mentionnent que l'oreille va être légèrement chaude au toucher, et que l'expérience sera relaxante ou spirituelle.

Évaluation par les sceptiques

Le traitement est occasionnellement offert comme prestation lors d'expositions sur la santé. Rebecca Long, présidente du Georgia Council Against Health Fraud, a fait les observations suivantes à l'Expo Discovery à Atlanta, en Géorgie, en 1992 :

Une exposition proposait le traitement pour $30. Les vendeurs disaient que l'aspiration créée par la chandelle "éclaircissait le cerveau et les sinus". Je les ai suffisamment interrogés pour établir qu'ils voulaient littéralement dire cela, et qu'ils croyaient que l'oreille était une ouverture vers le cerveau et les sinus. La femme qui tenait le stand a dit : "Ça nettoie toute la tête, le cerveau et tout le reste - tout est connecté, vous savez". Le traitement se faisait sur une table devant le stand, de sorte que la vue d'une personne étendue sur le côté avec une chandelle sortant d'une oreille attirait de nombreux spectateurs curieux. Durant la procédure, un mélange grisâtre de suie et de cire était recueilli sur sur petite assiette sous la chandelle. Le contenu ne ressemblait pas à de la cire fondue provenant de la chandelle, mais avait une apparence assez fétide. On disait aux clients qu'il s'agissait des "impuretés" dont ils avaient été débarrassés, et les clients se les montraient entre eux, comparant ainsi leurs débris. La vendeuse faisait aussi la promotion de "lectures psychiques".

Après le spectacle, Long s'est procuré un ensemble de chandelles auriculaires dans un magasin d'aliments naturels et, avec l'aide d'un ami, a procédé à un essai en suivant attentivement les instructions sur le paquet. Elle a constaté que le cônage produisait un sifflement semblable à celui d'une conque tenue contre l'oreille, mais en beaucoup plus fort. Cependant, l'air dans son conduit auditif est devenu si chaud qu'elle a dû arrêter l'expérience.

Plus récemment, deux chercheurs ont testé des bougies pour voir si la cire accumulée après la combustion provenait entièrement de la bougie ou incluait du cérumen. Pour ce faire, ils ont allumé des chandelles (a) avec le bout dans l'oreille, (b) avec le bout à l'extérieur de l'oreille, pour que la cire puisse s'égoutter dans un bol d'eau, et (c) dans l'oreille mais en utilisant un tube permettant au cérumen de couler à l'intérieur, mais bloquant la cire de la chandelle. Ils ont démontré que tous les résidus provenaient de la chandelle, et qu'aucune trace de cérumen n'avait été éliminée de l'oreille. [2]

Pourquoi les chandelles n'ont aucun effet bénéfique

Puisque la cire est collante, pour retirer le cérumen du conduit auditif, il faudrait une pression négative tellement élevée qu'elle provoquerait une rupture du tympan. Toutefois, la procédure ne produit pas de vide. Les chercheurs qui ont mesuré la pression durant les essais des chandelles auriculaires ont constaté qu'aucune pression négative n'était créée. Les mêmes investigateurs ont pratiqué la procédure à huit reprises et ont conclu qu'il n'y avait pas eu d'élimination de cérumen et qu'en fait, de la cire de bougie avait coulé dans le conduit auditif de certains sujets. [3]

La notion que le conduit auditif est en communication directe avec les structures au-delà du tympan est fausse. La simple lecture d'un livre d'anatomie vous en convaincrait. Le conduit auditif externe, avec un tympan intact, n'est pas lié au cerveau, ni aux sinus frontaux, cibles de la procédure, pas plus qu'aux trompes d'Eustache (les conduits entre l'oreille moyenne et le nasopharynx). Certains prétendent que le tympan est poreux et laisse passer des impuretés, ce qui est faux. Les "impuretés" qui apparaissent sur le plateau (habituellement fait de carton) ne sont rien d'autre que les cendres de la mèche brûlée et la cire du cône lui-même.
 

Bougie auriculaire

Dangers signalés

L'utilisation des chandelles auriculaires pose certains risques, le plus sérieux étant la brûlure causée par la cire chaude. Les fabricants assurent que leurs bougies vont couler à l'extérieur des oreilles, mais malheureusement peu recommandent aux utilisateurs de les tenir en position horizontale pour empêcher cela. Une enquête faite en 1996 auprès de 144 otorhinolaryngologistes a montré que 14 auraient vu des patients qui ont été blessés par le traitement, incluant 13 cas de brûlures externes, 7 cas d'obstruction du conduit auditif avec la cire de chandelle, et un cas de tympan perforé. [1]

Un autre cas a été rapporté par le London Free Press, un journal canadien. Une femme présentant des douleurs au nez et aux oreilles suite à une plongée sous-marine s'est rendue dans un magasin local d'aliments naturels et a été adressée à un "chandelier qualifié". Pendant le "traitement", elle a senti une brûlure intense dans l'oreille. Plus tard aux urgences, les tentatives d'enlever la cire qui avait coulé de la bougie sur son tympan ont échoué. Une intervention chirurgicale a été nécessaire et on a découvert une perforation de son tympan. Elle s'est complètement rétablie et, heureusement, son ouïe n'a pas été affectée. Le praticien s'est excusé, a indemnisé cette femme et a cessé de pratiquer le cônage d'oreille.

Le capitaine de sapeur-pompier Gray L. Powell de l'Alaska a rapporté deux cas de feux associés à des chandelles auriculaires, l'un d'eux ayant causé la mort de l'utilisateur. En janvier 2005, une femme de 59 ans a mis feu à sa literie en laissant échapper une chandelle auriculaire qu'elle tentait, seule, d'introduire dans son oreille. Le feu s'est étendu aux rideaux et à d'autres matériaux combustibles de sa chambre. Elle a pu quitter les lieux mais a présenté une crise d'asthme et est décédée au service des urgences de l'hôpital. [4]

Le cadre réglementaire aux États-Unis

Les bougies commercialisées avec des allégations santé sont classées par la FDA comme dispositifs médicaux. En tant que tels, il est illégal de les commercialiser sans l'approbation de la FDA - ce qu'aucun d'entre eux n'a. Au cours des dernières années, l'agence américaine a interdit l'importation de chandelles auriculaires vendues par au moins quatre entreprises canadiennes : [5]

En 1993, la FDA a saisi près de $6,000 en valeur de chandelles, de produits et prospectus de Quality Health Products, de Fayette en Ohio. Un communiqué de la FDA indique :

Falsifié - L'article est un dispositif médical de classe III pour lequel aucune demande d'approbation préalable à la mise en marché approuvée n'est en vigueur ; et les méthodes utilisées pour sa fabrication, son emballage et son entreposage, ainsi que les installations et les contrôles utilisés, ne sont pas conformes aux bonnes pratiques de conception actuelles.
Mal étiqueté - L'étiquetage de l'article représente et suggère qu'il est adéquat et efficace pour réduire le cérumen, la fièvre et les infections associées avec une perforation du tympan, et qu'il peut remplacer les tubes chirurgicaux insérés dans l'oreille, représentations et suggestions qui sont contraires aux faits. L'étiquetage de l'article ne comporte pas de mode d'emploi adéquat pour les fins auxquelles il est destiné. L'article est dangereux pour la santé lorsqu'il est utilisé de la manière recommandée et suggérée sur l'étiquette. L'article a été fabriqué, préparé, reproduit, composé ou transformé dans un établissement qui n'était pas dûment enregistré et ne figurait pas sur une liste officielle ; une mention ou des informations obligatoires n’ont pas été fournies comme il est exigé avant l'introduction dans le commerce entre États. [6]

En 1998, la FDA a demandé au président de Earth Care, de Ukiah, en Californie, de cesser la commercialisation des chandelles auriculaires dont le catalogue de l'entreprise fait la publicité. La lettre mentionnait que la publicité faisait du produit « un remède contre les otites, les douleurs sinusiennes, l'otite du nageur, les allergies, et les problèmes auditifs... il enlève efficacement les impuretés des conduits auditifs en puisant le cérumen en excès, les levures, les champignons, et les bactéries... des sinus et des glandes lymphatiques » [7]. En septembre 1998, l'agence a publié un 'avertissement d'importation' qui déclarait:

Le Center for Devices and Radiological Health (CDRH) a déterminé que les "bougies auriculaires" sont des dispositifs médicaux au sens de l'article 201(h) de la loi du Federal Food, Drug, and Cosmetic Act. Une bougie auriculaire est un cylindre de cire creux (environ dix pouces de long) destiné à enlever l'excès de cérumen. Pour ce faire, on allume la partie supérieure du produit en forme de bougie et on la laisse créer un vide pour aspirer la cire et les autres impuretés de l'oreille.

L'étiquetage du produit est faux et trompeur en ce sens qu'il n'existe aucune preuve scientifique validée à l'appui de l'efficacité du produit pour l'usage auquel il est destiné. De plus, l'étiquette du produit contient un mode d'emploi inadéquat, car il n'est pas possible de rédiger un mode d'emploi adéquat pour l'utilisation présumée du produit. Le CDRH considère que le produit est dangereux lorsqu'il est utilisé conformément à son étiquetage, car l'utilisation d'une bougie allumée à proximité du visage d'une personne comporte un risque élevé de causer des brûlures potentiellement graves de la peau ou des cheveux et des lésions à l'oreille moyenne.

De plus, aucun avis préalable à la mise sur le marché (510(k)) n'a été déposé pour ces produits, et les produits semblent avoir été fabriqués dans des établissements qui ne sont pas dûment enregistrés ou inscrits sur la liste de la... FDA. [8]

En novembre 1998, la FDA a averti Nature's Way, de West Columbia en Caroline du Sud, qu'il est illégal de continuer à vendre des chandelles auriculaires parce qu'elles ne sont pas approuvées et sont dangereuses à utiliser tel que suggérées dans le catalogue. [9]

Les chandelles auriculaires ne peuvent pas être vendues légalement au Canada. Santé Canada, Médicaments et produits de santé, section Instruments médicaux, déclare que des appareils de ce genre doivent être validés selon les Directives du Programme des produits thérapeutiques du Canada avant la vente du produit. Aucune autorisation n'a été accordée pour ce produit. Certains diffuseurs, pour tenter de contourner la réglementation sur les dispositifs médicaux, présentent les bougies auriculaires comme étant « pour le divertissement seulement ». Toutefois, Santé Canada considère que ce produit est vendu pour des buts médicaux puisqu'il ne peut pas être utilisé pour d'autres raisons. Santé Canada a émis des directives empêchant l'importation de chandelles auriculaires. [10]

En 2010, le Minnesota Board of Nursing a révoqué le permis d'exercice de Shirley J. St. Germain, infirmière diplômée. Les documents de l'affaire indiquent que a) en 1997, elle a été suspendue pour une durée indéterminée en raison de problèmes de santé mentale ; b) en 2006, le ministère de la Santé du Minnesota a appris qu'elle faisait de la publicité et pratiquait le cônage auriculaire sous le nom "Shirley Vedder (infirmière)" ; c) en 2007, le ministère lui a ordonné d'arrêter de pratiquer le cônage tout en utilisant le titre d'infirmière et d) en 2008, elle a violé le décret[10, 11] de 2007.

En 2010, la FDA a envoyé des lettres d'avertissement à 15 entreprises : King Cone International; Indian Mountain Center; Bobalee Originals Manufacturing; International Ear Candle, LLC; Home Remedies Solutions; Harmony Cone; A..J.'s Candles Inc; Wholistic Health Solutions; Wally's Natural Products Inc.; Body Tools; Health, Wealth, & Happiness; White Egret, Inc.; Brennan & McCoy; Amasha; Unisource; et Herbs, Heirlooms and Homebrew. Certains avaient fait la promotion de ces produits en affirmant qu’ils s’adressaient tout autant aux enfants qu’aux adultes.

Malgré ces démarches, les chandelles auriculaires sont toujours disponibles aisément sur l'Internet et dans les magasins d'aliments naturels. De 1998 à 2005, le Awareness Institute of Lake Wales, en Floride, non seulement vendait les produits mais offrait un cours par correspondance, à prix abordable, donnant droit à un "certificat d'auriculoconologue (earconolgist)".

Conclusion

Pour la majorité des gens, le cérumen dans les oreilles s'élimine spontanément, emportant avec lui toute une accumulation de résidus et d'autres substances. En cas de bouchons de cire dans les conduits auditifs externes, ceux-ci devraient être enlevés par un médecin ou un autre professionnel de santé utilisant des instruments appropriés. Les chandelles auriculaires sont à la fois inefficaces et dangereuses.

 

Références:

  1. ? ? Flyer mailed to health-food retailers in September 1998 by White Egret, Inc., of Dallas, Texas.
  2. ? Kaushall PP, Kaushall JN. On ear cones and candles. Skeptical Inquirer 24(5):12-13, 2000.
  3. ? Seely DR, Quigley SM , Langman AW. Ear candles: Efficacy and safety. Laryngoscope 106:1226-1229, 1996.
  4. ? Powell GL. E-mail to Dr. Stephen Barrett, April 15, 2005
  5. ? FDA Import Alert 80-06. Automatic Detention of Fraudulent and Deceptive Medical Devices, Attachment. Issued, Sept 28, 1992, revised May 9, 1997.
  6. ? FDA Enforcement Report, Dec 15, 1993.
  7. ? Gill LJ. Warning letter to John Schaesser, Jan 20, 1998.
  8. ? FDA Import Alert #77-01. Detention without Physical Examination of Ear Candles. Sept 1, 1998.
  9. ? Gill LJ. Warning letter to John Fisher, November 18, 1998.
  10. ? Ear candling. Health Canada Web site, Revised, Dec 15, 2006.
  11. Miner D. Letter to Shirley Vedder. Minnesota Department of Health MDH file number 20065, Aug 8, 2007.
  12. Stipulation and consent order. In the Matter of Shirley J. St. Germain. Before the Minnesota Board of Nursing, Feb 24, 2010.
  13. Nahid, Narayanan, Jalaluddin. Ear Candling: A Dangerous Pleasure? Iranian Journal of Otorhinolaryngology Vol. 23, No.1, Winter-2011.
  14. Otologie - Dr Albert Mudry | Bougies auriculaires.
  15. Dictionnaire Sceptique, Chandelles auriculaires.

 

Au sujet de l'auteur:

Le docteur Roazen est urgentologue à Duluth, Minnesota.

Dernière mise à jour le 27 novembre 2019.

Source: Quackwatch